Je suis resté trois semaines à aider l’équipe de conservation du parc de Te Urewera. Pendant ces trois semaines, j’ai pu toucher aux différents travaux effectués par l’équipe, certains très excitants, d’autres répétitifs et fastidieux. Dans l’équipe, tout le monde est Maori, la plupart même a toujours vécu dans la forêt Te Urewera. Pendant ces quelques semaines, j’ai beaucoup appris de la faune, la flore, ainsi que de la culture maorie. Ainsi, même si le temps me paraissait parfois bien long, cette expérience en reste tout de même enrichissante et mérite d’être citée plus en détail.

Tout d’abord, plantons le décors : je me trouve au cœur de la plus vaste forêt de l’île Nord, à 60 km du premier magasin et du premier point de réception téléphonique. La végétation dans la forêt est dense, connue pour ses innombrables fougères de toutes sortes (certaines d’ailleurs sont comestibles, intéressante alternative quand mon frigo était vide !). Plusieurs lacs se trouvent dans le parc, d’une eau exceptionnellement pure translucide. Le plus grand de ces lacs est le lac Waikaremoana, 600m d’altitude, longé par une des 9 "great walks" du pays (voir article suivanthttps://mazarsju.travelmap.net/posts/sur-les-traces-des-kiwis-great-walk?map=1 pour plus de détail).
"Te Urewera" signifie en langue maorie "pénis brûlé", venant d’une histoire comme quoi un de leurs ancêtres s’est assoupis trop prêt de son feu, et qu’une gerbe d’étincelle aurait enflammé son sexe. Une autre histoire moins connue (parce que moins racontable…) dit que ce même ancêtre aurait surpris sa femme en train de commettre un adultère, et que pour punir son amant, il lui aurait coupé le pénis, l’aurait fait cuire, et le lui aurait fait manger.
Dans cette forêt, nous retrouvons un condensé de la faune du pays, avec une grande variété d’oiseaux natifs (ainsi que certaines espèces de kiwis), quelques oiseaux introduits (comme certains canards ou cygnes noirs), et les mammifères introduits, la plupart labellisés sous le nom "pest animals". Il faut savoir que la Nouvelle Zélande ne comptait originellement aucun mammifère à l’exception de quelques chauves-souris. Rats et souris ont envahis l’île en infiltrant les bateaux de marchandises, les opossums ont été introduits pour la fourrure, les grands mammifères comme les cerfs et les sangliers ont été amenés pour la chasse, et d’autres animaux comme les lapins ou les belettes ont été apportés par les anglais pour que la faune ressemble plus à l’Angleterre. Cette introduction de nouvelles espèces a bien entendu entraînée un déséquilibre dans l’harmonie de l’île, et les néo-zélandais essayent à présent par tous les moyens de réparer les erreurs passées, massacrant les espèces qui se sont depuis appropriées l’île.
Événement unique dans l’histoire des peuples indigènes : la forêt Te Urewera a été rendue il y a peu aux Maoris, perdant ainsi son statut de "parc national". Cet événement est bien entendu suivi de près par les autres tribus maoris, ainsi que les autres peuples indigènes d’Océanie. Le DOC (departement of conservation) a cédé sa place aux habitants de la forêt, la tribut "Tuhoe". Pour célébrer cet événement, une grande cérémonie de transition a été organisée le 23 décembre, toute la journée depuis le levé du soleil. L’équipe en charge reçoit toujours des aides de l’état, et doit poursuivre les travaux assurés autrefois par le DOC, à savoir l’entretien des sentiers de randonnée, la préservation des espèces animales et végétales, la maintenance des refuges etc.

En temps que volontaire, j’ai eu droit à un hébergement gratuit en échange de mes services. J’étais hébergé dans un logement plus que confortable, avec dortoirs, cuisine équipée, salon, même une télévision (à noter que la programmation du petit écran néo zélandais est juste accablante et ponctuée par le triple de publicités que ce que nous connaissons en France). De temps à autre, d’autres personnes partageaient le logement avec moi, que ce soit d’autres Maoris de l’équipe de conservation, des travailleurs du camping de touriste, des plongeurs en mission ponctuelle afin de chasser les mauvaises plantes… Quand les Maoris étaient dans la partie, j’étais presque assuré d’avoir de la nourriture gratuite : il y avait toujours des restes. Dès le matin, c’était marmite de choux, patates, saucisses, oignons.
Mes soirées étaient souvent bien seules quand personne n’était là, mais heureusement j’ai pu faire un passage éclaire à Palmerston North pour faire le plein de séries (notamment "twin peak" que j’ai intégralement dévorée pendant mon séjour ici, excellente vieille série policière tordue). Tony m’a même prêté une guitare !

Pendant mes 3 semaines dans le parc, j’ai donc pu travailler sur un certain nombres de tâches qui changeaient chaque jours. Le plus souvent, j’étais dans l’équipe de contrôle des animaux nuisibles, travail qui consistait à poser des pièges dans la forêt afin d’attraper les rats, belettes et opossums. Cette traque est nécessaire à la survie d’autres espèces natives, comme les kiwis et autres oiseaux menacés. La protection des kiwis est également organisée par une autre équipe spécialisée dans le domaine, chargée d’observer leurs déplacements, et de sécuriser la période de couvaison, parfois en capturant directement les œufs dans les nids pour les sécuriser jusqu’à ce que le petit kiwi atteigne une taille suffisante pour se défendre seul contre les belettes (voir second article pour en savoir plus sur la récupération des œufs de kiwis). Par moment, j’aidais également l’équipe de tonte, en effectuant des travaux d’entretien et de nettoyage des outils (pas les plus palpitants vous pouvez imaginer). Une autre équipe que je n’ai pas eu l’occasion d’aider est chargée de la maintenance des chemins de randonnée ainsi que des refuges.
A toutes ces différentes tâches s’ajoutaient des tâches ponctuelles plus ou moins intéressantes, allant du nettoyage des bureaux jusqu’à aider à la dépose de colis par hélicoptère, en passant par la préparation de gros barbecues (eh oui, la nourriture a un très important poids dans la vie des Maoris ! Et il est dans leur culture de servir bien trop de quantité pour être certain que les invités ne manquent de rien. Je n’ai jamais autant mangé de toute ma vie !).
Pour la plupart des déplacements dans le "bush", nous utilisions des petits bateaux à moteur, ce qui permettait de contempler la beauté du parc depuis son cœur. Les travaux étaient variés, comme vous pouvez le voir, mais l’attente était de toutes les activités la plus récurrente. Tout se passe bien lentement dans cette forêt, et il y avait toujours quelque chose à attendre, que ce soit un moyen de transport, les directives pour la nouvelle mission, la météo… Une grande partie de la journée était également consacrée à la pause café, pendant lesquelles les Maoris rejetaient la faute du retard de leurs activités sur les autres (un phénomène qui me rappelle bien étrangement une certaine expérience professionnelle que je ne vais pas citer ici…).
Enfin, une autre série de travaux étaient plus liés à la préparation de l’ouverture du nouveau centre de tourisme, ainsi que la préparation de la cérémonie. Pour cela, un peu de travaux de construction (comme brûler du bois pour en faire l’extérieur du bâtiment afin de le protéger des intempéries), chargement des tables / chaises depuis la grande ville la plus proche (4h de route), montage des chapiteaux pour l’événement (6 gros chapiteaux ont du être montés pour l’événement, prévus pour accueillir plus de mille convives), préparation de la nourriture (en poste à partir de 3h30 du matin afin d’assurer plusieurs centaines de petits-déjeuners), lutte contre les ravages de la pluie (il n’a pas arrêté de pleuvoir pendant l’événement)… La journée de cette cérémonie a été la plus longue et la plus éprouvante de tout mon séjour ici (pluie torrentielle et grêle n’ont pas aidé), mais était également très intéressante : c’était un événement conçu par les Maoris pour les Maoris, et pas seulement du folklore attrape-touriste, donc j’ai eu beaucoup de chance d’assister à un tel événement. Tout y était : prières maories, hakas, immense barbecue (pas de place pour le végétarisme !), tatouages traditionnels dans toutes leurs formes… Malheureusement, les conditions climatologiques ont refroidi bon nombre de personnes, et sur les mille cinq cent attendus, seuls quelques centaines ont pu faire le déplacement, venant de tout le pays. La plupart des personnes présentes étaient maories, mais il y avait également quelques néo-zélandais non-Maoris (les "Pakeha").

Une des principales difficultés que j’ai eu pendant ce séjour était la communication… Les Maoris de l’équipe parlaient principalement en anglais, mais ce n’est pas vraiment l’anglais que nous apprenons à l’école : comme je l’ai dit plus haut, la plupart des maoris de l’équipe étaient nés dans la forêt, et y avait vécu toute leur vie ou presque. Leur accent était juste ignoble… Imaginez un étranger qui part pratiquer son français dans le fin fond de la montagne québecoise, et je pense que vous êtes dans ce que j’ai pu ressentir. Les temps morts étaient très pesants, manque d’organisation et pertes de temps m’énervaient rapidement. J’ai ressenti pour la première fois depuis longtemps d’envie de retourner à mon écran d’ordinateur et à mes lignes de codes. Faire travailler un peu ma matière grise m’a manqué. Enfin, je ne regrette en rien d’avoir pu vivre cette expérience bien entendu ! J’y ai appris beaucoup, ai pu m’imprégner d’une des plus belles régions de l’île Nord, et ce à moindre frais !