Te Araroa, conclusion


Plus de 1300km parcourus en presque 2 mois (dont 50 à vélo), ralliant Ship Cove à Bluff. Ce projet fou qui stimulait en moi autant d'appréhension que d'excitation, s'est trouvé être une aventure bien au-delà de mes espérances, combinant nature magnifique, défis quotidiens variés, et rencontres humaines inoubliables. Je ne peux clore cet épisode sans relayer mon ressenti au travers de ces quelques mots.

Une thru-hike unique


Il n'est pas surprenant que de nombreux thru-hikers (nom donné aux randonneurs ayant accomplis une ultra randonnée) américains se tournent vers ce jeune trail.En effet, l'île Sud de la Nouvelle Zélande a la particularité d'avoir une très grande variété de paysages, allant des forêts tropicales touffues aux déserts arides de tussock, en passant par des paysages de haute montagne et de grands lacs. Chaque jour, c'est un tout nouveau paysage que nous offre le TA, chaque soir c'était avec excitation que j'allais dormir, me demandant ce que le lendemain me réservait.
Le défis physique et mental est une autre bonne raison qui a attiré les plus de 500 randonneurs du TA cette année. Te Araroa est connu comme étant un des trails les plus ardus au monde de part ses nombreuses difficultés : traversées de rivières, boue, importants dénivelés, météo capricieuse, isolement nécessitant un effort de logistique, sandflies... La section connue comme étant la plus difficile du TA reste les Richemond Ranges, mais je pense que chaque jour de marche sans exception a son lot de difficultés. Il faut savoir s'attendre à tout, et rester humble jusqu'à la fin.
Le trail ne cesse d'attirer plus de monde d'années après années, à tel point que cela va rapidement poser des problèmes : les huts n'ont pas la capacité d'accueil suffisante pour tout le monde, et le DOC (Department Of Conservation) n'a pas les fonds suffisants pour remplacer ces hébergements. L'année prochaine, 2 à 3 fois plus de randonneurs sont attendus sur la marche. Je suis finalement bien heureux d'avoir pu faire le TA cette année : il y avait tout juste assez d'autres marcheurs pour ne pas se sentir seul, sans que le nombre ne pose trop de problème.

Le rythme "rando, ravito, dodo"


Pendant ces deux mois, mon quotidien était ponctué par ces trois activités basiques : marcher, manger, dormir. Une fois hors des villes, bien loin de toute autre tentation, nous vivions au rythme du soleil, notre minuit à nous était à 21h. Chaque entrée en ville (le "retour à la civilisation", comme nous aimions le dire) était accompagnée de la même excitation, l'excitation de se goinfrer des fast-food bien gras dont l'idée nous faisait saliver pendant toute notre marche. Paradoxalement, chaque départ pour entamer la nouvelle section s'accompagnait d'une sorte de soulagement, soulagement de retourner là où notre coeur était : sur la route, dans la solitude, loin des gens, loin des villes, loin de cette société consumériste, sans se soucier du regard des gens. La vie est finalement bien plus simple sur le trail, là où toute notre vie pour la semaine tient dans un sac à dos. Nous pouvons sans complexe nous remettre à péter, roter, parler de bouffe et de caca, et assumer nos odeurs corporels sans chercher à les dissimuler. En ville, avec nos vêtements troués, couverts de sueur et de boue, la barbe et les cheveux en jachère, nous passons aisément pour des clochards, des reclus de la société, alors que sur le trail, nous sommes chez nous (pas étonnant qu'en Néo-zélandais, le mot pour randonneurs, "tramper", vienne du mot clochard "tramp").
La fin du trail, soudaine, après plusieurs mois de marche, s'est accompagnée pour un bon nombre d'entre nous d'une période étrange de profonde lassitude et d'ennuis, une forme de dépression post-TA. Après avoir regagné très rapidement les 5kg que j'avais laissés sur le trail, j'ai totalement perdu l'appétit pendant près d'une semaine, comme bien d'autres marcheurs. Le retour à la "vie normale" n'est pas évidente pour tout le monde après un pareil épisode, il n'est pas surprenant que bon nombre de randonneurs finissent par poursuivre avec Stewart Islande comme période de transition.

Une grande "tramilly"


Pendant mes préparatifs, j'étais bien loin d'imaginer rencontrer autant de monde sur cette marche. Dans mon esprit, rares étaient les gens assez fous pour se lancer dans une pareille aventure, mais je m'étais bien trompé : au cours de ces 57 jours, je me souviens de plus de 80 marcheurs, de 17 nationalités, allant de 19 ans à la soixantaine, 30% de filles (voir détail ci-dessous).



Bien que tous très différents (de part nos origines, nos âges, notre milieu social, et même notre philosophie de marche), il est très facile et naturel de tisser des liens avec les autres marcheurs. Nous sommes tous liés par le même objectif, nous avons tous connu des moments difficiles sur le trail, bien loin de notre zone de confort. C'est finalement un sentiment de fratrie que nous avons, très intense bien qu'assez éphémère. Le néologisme "tramilly" (tramping+familly) traduit bien ce concept.
Parti d'une démarche assez individuelle (en me planifiant des étapes précises), je me suis rapidement tourné vers une philosophie plus collective, et ne regrette en rien ce changement de bord qui, en prolongeant mon épopée de quelques jours, m'a permis faire naître de belles amitiés. En écrivant mon journal de bord, il m'était d'ailleurs bien plus aisé d'écrire au nom de "nous" et non "je", ce même si j'étais quand même seul la plupart de ma journée (nous ne nous retrouvions que le soir et quelques fois le midi ; pendant la journée, chacun marchait à son rythme, profitant du calme de la nature, laissant vagabonder ses pensées).
Dans le large panel de marcheurs rencontrés, il est intéressant de constater les différentes approches de marche, souvent liées à la nationalité. Il y a d'un côté les marcheurs qui ont une approche plus sportive et sérieuse, parcourant des distances quotidiennes délirantes en réduisant le poids de leur équipement à l'extrême (certains arrivent à descendre à 3.5 kg, et se privent de rechaud, se nourrissant exclusivement à base de chocolat et d'avoine). Ces gens sont la plupart du temps américains, nous les appelons les "ultra-light". A l'inverse, il y a ceux qui s'encombrent de gros bouquins, de fruits et de légumes, de jumelles, favorisant les plaisirs de la vie "post-marche" à la hut. J'ai peu à peu penché pour cette seconde philosophie, jusqu'à la pousser à l'extrême le jour où j'ai décidé d'acheter un bouquin de 950 pages à Queenstown. L'allemand Claudio disait que nous n'étions peut être pas ultra-light, mais qu'au moins nous étions ultra-happy !
Pour ce qui était de ma relation avec les autres randonneurs, les échanges se faisaient bien sûr davantage avec les gens de la même direction (les "SOBO", "southbourne"), mais une relation intéressante était également établie avec ceux, plus rares, qui marchaient en sens contraire (les "NOBO", "northbourne"). En effet, celui qui va en sens contraire est celui qui a vécu ce que nous allons vivre dans les prochains jours, il est comme le voyant qui prévoit dans l'avenir, qui nous met en garde ou qui nous apporte les bonnes nouvelles. Il permet également d'envoyer un message à nos compagnons de derrière, un peu comme un pigeon voyageur marcheur. La crédibilité des propos de celui qui va en sens contraire est également proportionnelle à la distance qu'il a parcouru depuis son point de départ (à tort parfois, comme pour la montée avant Stodys Hut dont les NOBOs nous avaient mis en garde et que nous avions bien sous estimée !). Les livrets d'intention présents dans les huts ont un rôle essentiel dans toutes ces migrations : c'est notre moyen d'échange avec nos amis de derrière, et un moyen de savoir où se trouvent nos amis qui nous devancent. Très rapidement, nous connaissions un bon nombre de marcheurs sur le trail, et tous ces noms dans le bouquin nous étaient familiers.

Cette aventure, bien que parfois difficile, est à la portée de n'importe quel individu capable de marcher plusieurs heures d'affilé avec un sac sur le dos. Donc si l'envie vous prend de vous lancer à votre tour, je ne peux que vous le conseiller, et n'hésitez pas à me poser toutes les questions qui vous traversent l'esprit !